Pierre-Marie Dru Président de l'ASM

Derrière l'harmonie et la cohérence musicale d'un film, se trouve une figure méconnue du grand public : le superviseur musical. Aujourd'hui, ce corps de métier unit ses forces pour créer l'Association des Superviseurs Musicaux (ASM) qui mettra nombre de chantiers en œuvre en 2021. En sus d'une volonté de mutualiser leurs connaissances et compétences, les membres de l'ASM interviendront, entre autres, lors de la première édition de Sœurs Jumelles, Rencontre de la Musique et de l'Image à Rochefort en juin 2021 pour organiser des tables rondes et animer des master classes. Premier président de l’ASM et superviseur musical des prochains films de Jacques Audiard (Les Olympiades) et Leos Carax (Annette) via sa société Pigalle Production, Pierre-Marie Dru nous parle de son métier et des enjeux de ce nouveau collectif.

Afin de comprendre les actions de l'ASM, pouvez-vous d’abord expliquer en quoi consiste votre métier ?

Le superviseur musical est la personne qui accompagne la musique d'un film ou d'une série, tout au long de la production, de la lecture du scénario où se dessinent déjà des enjeux musicaux, jusqu’à la sortie de la B.O.

Au départ, nous participons à la direction artistique musicale du film. Notre champ d’action varie en fonction de chaque réalisateur et de son besoin ou non d’être accompagné, en particulier pour le casting du compositeur - la personne évidemment la plus importante de l’équipe “musique”. Vient ensuite toute une phase juridique avec les contrats du compositeur, des musiciens, des artistes-interprètes, les musiques qu'on achète, les négociations avec les labels et les producteurs, etc. Mais il y a aussi un volet technique. Par exemple, en ce moment je termine la comédie musicale de Leos Carax, Annette: nous avons enregistré un orchestre en direct, pendant le tournage. La question s’est alors posée: comment enregistre-t-on en filmant ? Il faut par exemple cacher les micros tout en s'assurant que la prise de son soit bonne pour pouvoir la mixer ensuite.

Le superviseur musical est souvent aussi le producteur exécutif de la musique. C’est l’aspect financier. Nous supervisons le budget alloué à la musique en accord avec le producteur : combien doit-on provisionner pour la composition et la production de la musique originale et combien pour acheter des musiques additionnelles ? Il peut aussi y avoir un aspect commercial si l'on doit s'occuper de la sortie de la B.O. (trouver un label, etc.).

Notre rôle est de comprendre l'impact de la musique sur les images pour aider le réalisateur à déterminer le style musical qui correspond à son projet, tout en servant d’interface avec tous les décisionnaires. Un superviseur musical doit avoir une bonne oreille :  s'y connaître en musique mais aussi savoir bien écouter ce qui est dit ou non-dit pour trouver le pouls de chaque projet. À l’ASM, nous sommes tous assez différents, avec nos particularités : nous avons dans nos rangs des juristes de formation épris de musique, comme des producteurs de musique fous de cinéma.

Par exemple, vous avez auparavant fait des études d'architecture…

Oui, à Belleville, mais j'ai vite compris que je ne deviendrais pas architecte. La musique était mon premier amour. Avec le cinéma. Aujourd’hui, j'ai un peu l'impression de faire de l'architecture musicale : la supervision musicale consiste à construire une bande son et une réflexion globale autour d’un film, et demande une grande polyvalence.

Pourquoi ce besoin de se réunir en association de superviseurs ?

L'ASM existe officiellement depuis peu, même si l'envie nous a pris avant la Covid. Nous avons besoin de nous entraider et de pouvoir parler d’une seule voix pour témoigner de différentes choses, qui rendent parfois notre métier incroyablement complexe. Nous essayons aussi de mener une réflexion avec l'ensemble de l’écosystème de la musique à l’image (les compositeurs et leurs agents, les ingénieurs du son, les monteurs son, les orchestres, les labels, les éditeurs…) et de renforcer nos relations avec des partenaires comme la SACEM, le CNC, le CNM ou le Ministère de la Culture.

Beaucoup de nos problématiques sont juridiques : par exemple, quand nous travaillons avec des plateformes américaines, que ce soit Netflix ou Amazon, il y a une autre logique du droit, américaine, avec des contrats qui ne sont pas forcément basés sur le droit d'auteur. C'est un problème qui a été soulevé lorsque j'ai travaillé sur une des premières séries Netflix produite en France, Plan cœur. C’est un sujet récurrent pour les superviseurs et nous avons pensé mutualiser nos connaissances et nous entraider pour faire avancer tout cela, et dans ce cas précis, conseiller au mieux les plateformes.

L’un des buts de l’ASM est aussi d’œuvrer pour améliorer la santé de cet écosystème et, par répercussion, pour avoir de meilleures bandes son. Il faut mettre toutes les chances de notre côté pour que la créativité soit décuplée. Nous devons rendre les conditions de création et de production de nos musiques optimales, sur le plan financier et temporel : on doit laisser au compositeur un temps suffisant pour qu’il puisse créer (essayer, se tromper, recommencer, nous surprendre). Dans l’idéal, nous aimerions aussi que la musique ait plus de place dans les festivals et que le rôle du compositeur soit reconnu à sa juste valeur. C’est vraiment le troisième auteur d’un film.

Notre projet de partenariat avec Sœurs Jumelles pour organiser des master classes à Rochefort en juin prochain consiste à amener un peu de technicité, afin d’être encore plus précis sur les conditions de travail de tous les acteurs de la musique à l’image. Nous souhaitons également mener une discussion sur la place des femmes dans la composition, il faut mettre en avant des compositrices pour qu'elles expliquent leurs parcours.

Pouvez-vous nous parler de votre rôle sur J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, film d’animation pour lequel le compositeur Dan Levy a reçu le César de la Meilleure Musique Originale ?

Dan Levy et moi sommes arrivés à peu près en même temps, sur la deuxième partie de production du film. Le producteur et le réalisateur Jérémy Clapin travaillaient dessus depuis très longtemps déjà. Dans ma supervision, j'ai aidé Dan dans la gestion du temps et dans l’organisation de la production de sa musique surtout, mais Dan a aidé le film d’une manière folle.

Je voulais supprimer les synchros (titres déjà placés dans le montage, ndlr) maisDan produit également des artistes, notamment S+C+A+R+R dont il a proposé un morceau pour la scène de la construction de l’igloo. Le titre ne faisait pas l’unanimité et j’ai dû me battre pour le garder. Pour les raps, il y avait au départ de gros morceaux américains qu’on ne pouvait pas s’offrir. Dan nous a alors proposé de travailler avec L’ordre du périph, un groupe qu’il avait repéré à Bourges. J’ai rassuré tout le monde sur le fait que ça allait être bien, voire mieux.

Pour la chanson du générique de fin, on voulait reprendre le thème principal de Dan. Comme la chanson de l’igloo de S+C+A+R+R faisait débat, Dan a proposé de la remplacer par une chanson de Laura Cahen, une artiste qu’il produit également. La chanson était très belle mais n’allait pas aussi bien que celle de S+C+A+R+R. Un monteur bien inspiré a déplacé la chanson de Laura sur le générique final : “La complainte du soleil” s’est alors retrouvée dans le film. La première fois qu’on a vu J’ai perdu mon corps avec le public, on a tous été retournés. Cette chanson joue un rôle fondamental, presque comme si on entendait la voix de l’héroïne, Gabrielle. Un petit condensé de toutes les émotions du film, une sorte de haïku.

Le thème principal, lui, est joué sur une flûte électronique sur laquelle nous nous sommes longuement interrogés. Au final, nous l’avons gardée : le temps est important pour mesurer la qualité d’une idée et nous laisser la possibilité de l’apprivoiser. C'est sur cette flûte que Dan est allé chercher son César.

Le superviseur musical est là pour renforcer des convictions, veiller à ce que l’on soit sur la bonne voie. Quand nous avons bien fait notre travail, il ne se voit pas.

Article de Soeurs Jumelles par Marine Wong Kwok Chuen

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